Isaï - Mahomet - Victor Hugo( 1 )

Isaïe, Mahomet et Victor Hugo

C'est moi qui appelle de l'Orient un oiseau de proie
D'une terre lointaine, un homme pour accomplir mes desseins,
Je l'ai dit, et je le réaliserai,
Je l'ai conçu, et je l'exécuterai.
Ecoutez-moi, gens endurcis de coeur,
Ennemis de la droiture !
Je fais approcher ma justice : elle n'est pas loin,
Et mon salut, il ne tardera pas.
Je mettrai le salut en Sion,
Et ma gloire en Israël.
(ISAIE 46, II-13)

Cette prophétie du grand inspiré semble tomber à pic sur le prophète de l'Arabie, Mahomet. En 570, Mahomet naquit à La Mecque, ville étrange où bouillonnaient les instincts du commerce et les idéaux religieux. Par rapport à la Judée, La Mecque fait partie de l'Orient. Plus encore par rapport aux commentateurs occidentaux.
Un oiseau de proie ! Mahomet proclama la nécessité de la guerre sainte, la guerre aux infidèles, la guerre à ceux qui méconnaissaient l'unité de Dieu ! Les desseins d'Iahvé, quels sont-ils ? Arracher les hommes aux puissances trompeuses du polythéisme, faire resplendir à leurs yeux la gloire de la vérité. Mahomet se mit volontairement dans la main de Dieu, comme un glaive vivant.
Le polythéisme repose sur des assises exactes. Il existe entre l'homme et Dieu une magnifique échelle d'entités surnaturelles. L'erreur, c'est de rendre à ces valets sublimes le culte que l'on doit au seul maître de l'infini.
Ce n'est pas une raison pour imposer ce culte à coups d'épée ! Mahomet a pourtant des excuses. Le monde où il naquit grouillait de sauvageries guerrières. On s'exterminait à qui mieux mieux au nom de vaines idoles de l'honneur. Mahomet codifia cette guerre chaotique, la rendit féconde en lui donnant le visage d'un apostolat d'héroïsme. En fait, les musulmans furent beaucoup moins intolérants que les chrétiens, et de nombreux peuples les accueillirent comme des libérateurs.
L'Islam défend aussi d'être cruel envers les animaux. Il respecte en ces humbles muets les créatures de l'Eternel. On ne doit jamais faire souffrir les bêtes, ni même les tuer inutilement. Nobles préceptes, que l'Evangile a oublié de proclamer avec toute l'autorité sainte qui eut empêché bien des crimes.

UN REFLET DU BIEN SUPREME

Mahomet porte donc sur lui un reflet du Bien suprême. Il est aussi l'ombre de la justice passant sur les peuples Arabes et Chrétiens. Sa législation ne manque ni de générosité ni de magnificence.
Le musulman doit prier cinq fois par jour. Cinq fois par jour, il tourne son coeur vers l'Etre suprême qui d'un geste peut anéantir l'innombrable armée des mondes. Ces prières, colonnes de la religion et clefs du paradis, assurent au fidèle une mentalité supérieure. Penser à l'Eternel augmente la noblesse de l'homme.
L'odeur de la bouche qui jeûne est plus agréable à Dieu que l'odeur du musc.
Cette nouvelle proclamation de Mahomet sonne comme un chant de patriarche. Tout un mois - celui de Ramadan - les disciples du prophète s'abstiennent d'aliments, depuis l'aube de pourpre jusqu'au couchant d'émeraude. Ramadan, quel nom bizarre. Râma, l'héroïque dieu de l'Inde, y apporte son don ! Le jeûne développe le courage et la santé, ces rouges fleurs de la vie. On approche également des rives sombrement transparentes du mystère. La clairvoyance est fille du jeûne. Bien entendu, un maître de l'esprit et du corps est nécessaire. Le jeûne d'ailleurs ne porte que sur les aliments solides. L'eau, base fluide de tout organisme, doit abreuver abondamment le jeûneur.
La morale de Mahomet lève enfin le feu clair de l'aumône. Cette qualité maîtresse ne constitue pas l'apanage du seul chrétien, considéré comme source de perfection. Le musulman aussi connaît la noblesse de l'aumône aux mains consolatrices. Mahomet abonde en formules généreuses :
Secourez vos enfants, vos proches, les orphelins, les pauvres, les pèlerins, le bien que vous ferez sera connu du Tout-Puissant. Faites l'aumône de jour, faites la de nuit, en public, en secret. Vous en serez récompensé des mains de l'Eternel et vous resterez exempts des terreurs et des tourments. »

L'ABLUTION ET LE PELERINAGE

Prière, jeûne, aumône, quel magnifique trépied de vertus ! L'Islam ordonne également l'ablution, précepte de respect et d'adoration. La propreté est la porte de la prière. On se présente à Dieu pur de corps et d'esprit.
Quant au pèlerinage à La Mecque, c'est une imitation pieuse des prophètes ADAM, ABRAHAM, ISMAEL, qui le firent dans les temps antiques. Jésus lui-même l'accomplira au couchant des siècles. Ainsi les envoyés du passé comme de l'avenir accompagnent - vision grandiose - celui qui pratique le saint pèlerinage.
Mahomet croyait-il que par l'imitation, ses fidèles participaient mystérieusement à l'essence sublime des prophètes ? En mettant ses pas humains dans les pas surhumains, le voyageur communiait-il avec un monde supérieur ? Ou bien le pèlerinage terrestre est-il l'image du pèlerinage que l'âme réalise dans les déserts de la mort ?
Ces idées et d'autres encore bouillonnent dans l'inspiration des mages créateurs. De toute façon cette vaste architecture de rites ressortit à la justice universelle et au salut des âmes individuelles. Mahomet prend dignement place dans l'amphithéâtre étoilé des Prophètes.

LA CONQUETE ARABE

Alors, comment s'expliquent les deux dernières lignes de la prédiction ? Je mettrai le salut en Sion et ma gloire en Israël.
Il faut plonger dans les renseignements que nous apporte l'histoire sur les conquêtes de l'Islam. L'année 637, vit déferler invinciblement les guerriers de la nouvelle religion contre Jérusalem, qui tombe malgré sa résistance héroïque. Au patriarche Sophronius, qui le conjurait d'épargner une ville sacrée, le général Khaled répondit :
C'est parce qu'elle est sacrée, c'est parce qu'elle est le tombeau des prophètes, que nous sommes plus dignes de la posséder.
La Jérusalem de 637, conquise par les armes musulmanes, était peuplée de chrétiens. On leur laissa leur culte et leurs biens, mais l'Eglise de la Résurrection, bâtie par Constantin, fut transformée en mosquée. Désormais les prières, quittant les chemins du Christ, empruntèrent les routes d'Allah.
Mieux encore ! Les débris du temple de Salomon, souillés par les chrétiens, furent purifiés par les arabes pleins d'un respect religieux. Le grand souffle de l'Islam balaya les immondices ecclésiastiques.
Allah et Jéhovah sont les deux visages du même Dieu qui veille sur Ismaël et sur Israël. Ce maître arabe et juif se complait dans l'illimité, dans le sans forme.
Le Christ appartient à une autre hiérarchie céleste : celle des dieux qui prennent une forme humaine, et s'enferment dans un organisme personnel. Il a moins de grandeur sauvage que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, mais plus de douceur, plus de caressante tendresse. Osiris, Tammuz, Adonis, Râma, Krishna, jaillirent de son coeur brûlant.

ISAÏE, PROPHETE DE VICTOR HUGO

Le grandiose Isaïe médite sous le firmament des espaces sans bornes. Sa prédiction intéresse les prophètes et les métaphysiciens de l'infini. Peut-on la projeter sur les grands poètes inspirés qui émerveillèrent le globe ?
Nous pensons qu'après Mahomet, le kabbaliste Victor HUGO, poète, prophète et mage, se trouve annoncé par la voix sibylline d'Isaïe.
La carrière de HUGO, après les premiers balbutiements des Odes et Ballades, a étincelé dans l'aurore avec les Orientales. C'est de l'Orient que son génie tira ses élans héroïques. La préface des Orientales, datée de 1829, contient d'effarantes prédictions :
Au reste, pour les empires comme pour les littératures, avant peu peut-être, l'Orient est appelé à jouer un rôle dans l'Occident.
Tout le continent penche à l'Orient. Nous verrons de grandes choses. La vieille barbarie asiatique n'est peut-être pas aussi dépourvue d'hommes supérieurs que notre civilisation veut le croire.
Surpuissance de l'intelligence prophétique, qui se traduit par une espèce de sourire. HUGO connaît l'avenir, mais il joue avec le peut-être, oiseau bariolé. Laissons l'oiseau charmant, écoutons le cri de l'aigle.
L'Orient représente ici l'Inde et la Chine, la fabuleuse métaphysique hindoue et le terrifiant empire chinois, avec ses centaines de millions de faces hagardes. Toutes deux, l'Inde et la Chine, ont bouleversé et bouleverseront nos destinées. L'Orient jette son double rayon d'or et de sang sur les sombres terres de l'Occident.

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